Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

d’argile ! répliqua d’une voix forte Élisabeth Prokofievna : — est-il possible que tu sois si atterré, Léon Nikolaïtch ? ajouta-t-elle avec inquiétude : — assez, mon cher, assez ; tu me fais peur, vraiment.

— Et vous me pardonnez tout ? demanda le prince ; — tout, pas seulement le vase ?

Il voulut soudain se lever, mais le haut fonctionnaire le tira par le bras et l’obligea à se rasseoir.

C’est très-curieux et c’est très-sérieux[1] ! glissa-t-il dans l’oreille d’Ivan Pétrovitch en se penchant par-dessus la table. Ces mots furent, du reste, prononcés assez haut ; peut-être même que le prince les entendit.

— Ainsi je n’ai offensé aucun de vous ? Vous ne sauriez croire combien cette pensée me rend heureux ! Mais, d’ailleurs, cela devait être ! Est-ce que je pouvais blesser quelqu’un ici ? Une telle supposition serait même une offense pour vous.

— Calmez-vous, mon ami, c’est de l’exagération. Vous n’avez pas lieu de tant remercier ; c’est un beau sentiment, mais il dépasse la mesure.

— Je ne vous remercie pas, seulement je… vous admire, je vous contemple avec bonheur ; il se peut que je m’exprime bêtement, mais — j’ai besoin de parler, j’ai besoin d’expliquer… ne fût-ce que par respect pour moi-même…

Tout en lui était saccadé, troublé, fiévreux ; très-probablement ce qu’il disait n’était pas ce qu’il aurait voulu dire. Du regard il semblait implorer la permission de parler. Ses yeux rencontrèrent la princesse Biélokonsky.

— Ce n’est rien, batuchka, continue, continue, seulement ne t’emballe pas, observa-t-elle, — tantôt tu t’es échauffé et voilà ce qui en est résulté ! Mais n’aie pas peur de parler ; ces messieurs ont vu plus bizarre que toi ; tu ne les étonneras pas.

Le prince l’écouta en souriant, puis il s’adressa soudain au vieillard :

  1. La phrase que nous soulignons est en français dans le texte.