Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/320

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de s’en aller, les visiteurs exprimèrent leurs sympathies, firent entendre force paroles de consolation, donnèrent leur avis. Ivan Pétrovitch, notamment, dit que « le jeune homme était slavophile ou quelque chose de ce genre, mais que, du reste, cela n’était pas dangereux ». Le vieillard garda le silence. Plus tard, à la vérité, le lendemain et le surlendemain, tous éprouvèrent un certain mécontentement. Ivan Pétrovitch se sentit même blessé, modérément, toutefois. Pendant quelque temps, le supérieur d’Ivan Fédorovitch témoigna une sorte de froideur à son subordonné. Le « protecteur de la famille », le haut dignitaire, adressa, de son côté, quelques observations au général Épantchine ; à cette occasion, d’ailleurs, il déclara aimablement qu’il « s’intéressait fort au bonheur d’Aglaé ». Ce personnage n’était pas un méchant homme, mais, s’il avait durant la soirée manifesté tant de curiosité à l’endroit du prince, c’était surtout parce que la récente affaire de Muichkine avec Nastasia Philippovna ne lui était pas tout à fait inconnue ; le peu qu’il avait appris de cette histoire lui faisait vivement désirer d’en savoir davantage.

En prenant congé d’Élisabeth Prokofievna, la princesse Biélokonsky lui dit :

— Eh bien, il est à la fois bon et mauvais ; mais, si tu veux mon avis, il est plutôt mauvais. Tu vois toi-même quel homme c’est, — un malade.

Élisabeth Prokofievna décida à part soi que le prétendu était « impossible », et en se couchant elle se jura que « tant qu’elle serait vivante, le prince n’épouserait pas Aglaé ». Elle se leva le lendemain matin avec la même idée. Mais, pendant le déjeuner, entre midi et une heure, une contradiction singulière se produisit dans les sentiments de la générale.

Questionnée, fort discrètement, du reste, par ses sœurs, Aglaé répondit tout à coup d’un ton froid et hautain :

— Je ne lui ai jamais donné aucune parole, jamais de ma vie je ne l’ai considéré comme mon futur époux. Il m’est tout aussi indifférent que n’importe qui.