Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/351

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de ses sentiments ; quelque désolée qu’elle fût, elle éclata de rire en l’entendant et lui fit à brûle-pourpoint une question étrange : pour preuve de son amour, se brûlerait-il tout maintenant le doigt à la flamme de la bougie ? Une telle proposition interloqua le jeune homme et son visage trahit un embarras si comique qu’Aglaé se mit à rire de plus belle ; puis elle quitta précipitamment Gania et monta dans la chambre de Nina Alexandrovna où ses parents la trouvèrent. Le prince apprit l’anecdote le lendemain par Hippolyte. Le malade qui ne se levait plus envoya chercher Muichkine exprès pour lui faire part de cette nouvelle. Comment lui-même en avait-il eu connaissance ? nous l’ignorons. Quoi qu’il en soit, lorsque le prince entendit raconter l’épreuve proposée à Gania par Aglaé, il pouffa au point d’étonner Hippolyte ; ensuite il se mit tout à coup à trembler et fondit en larmes…. D’une façon générale, son état, à cette époque, se caractérisait par une extrême inquiétude, par une agitation pénible et sans cause déterminée. Hippolyte n’hésitait pas à affirmer qu’il lui trouvait l’esprit dérangé ; mais on ne pouvait pas encore dire cela positivement.

En rapportant tous ces faits que nous renonçons à expliquer, nous ne prétendons nullement justifier notre héros aux yeux de nos lecteurs. Bien plus, nous nous associerions volontiers à l’animadversion dont sa conduite était l’objet de la part même de ses amis. De tels agissements, en effet, les révoltaient tous, depuis Viéra Lébédeff et Kolia jusqu’à Keller (avant que celui-ci eût été choisi comme garçon d’honneur) ; quant à Lébédeff, dans son indignation il s’était mis à intriguer contre le prince, ainsi qu’on le verra plus loin. Notre sentiment est de tout point conforme à certaines paroles, pleines d’une véritable profondeur psychologique, que prononça Eugène Pavlovitch dans une conversation familière qu’il eut avec le prince, six ou sept jours après l’événement survenu chez Nastasia Philippovna. Notons à ce propos qu’outre les Épantchine, tous ceux qui par un lien direct ou indirect se rattachaient à cette maison avaient cru