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Page:Dostoïevski - L’Idiot, tome 2.djvu/36

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vexer leur mère, elles n’ont pas d’autre raison, absolument aucune autre ! »

Élisabeth Prokofievna éprouva quelque soulagement quand elle put se dire que du moins une de ses filles, Adélaïde, allait enfin être établie. « Ce sera toujours un débarras pour moi », déclarait-elle lorsqu’il lui arrivait de manifester tout haut ses sentiments (dans le for intérieur elle se servait d’expressions beaucoup plus tendres). Et comme toute l’affaire s’était arrangée heureusement, convenablement ! dans le monde même on n’en parlait que sur un ton hautement approbateur. Le fiancé était un homme comme il faut, un homme connu, un prince ; il avait de la fortune, et, en outre, il plaisait à sa future : qu’aurait-on pu désirer de mieux ? Mais Élisabeth Prokofievna avait toujours été moins inquiète de sa seconde fille que des deux autres, quoique les goûts artistiques d’Adélaïde ne fussent pas sans lui causer parfois un peu d’appréhension. « En revanche, elle a un caractère gai et beaucoup de bon sens : avec cela une fille ne se perd pas », se disait en fin de compte la générale, et cette pensée la rassurait. C’était l’avenir d’Aglaé qui lui donnait le plus de souci. Au sujet de l’aînée, Alexandra, Élisabeth Prokofievna ne savait si elle devait ou non s’inquiéter. Quelquefois il lui semblait que « c’en était fait de cette fille » ; elle avait vingt-cinq ans, — donc elle était destinée à coiffer sainte Catherine. Et « avec une beauté pareille !… » La malheureuse mère passait les nuits à pleurer, pendant que la cause de ces larmes dormait du sommeil le plus tranquille. « Mais qu’est-ce qu’elle est ? Une nihiliste ou simplement une sotte ? » Élisabeth Prokofievna savait fort bien, du reste, que cette dernière qualification n’était pas à sa place ici : elle tenait en haute estime le jugement d’Alexandra Ivanovna et lui demandait volontiers conseil. Mais que sa fille fût une « poule mouillée », elle n’en doutait pas du tout : « elle est si tranquille que rien ne peut l’émouvoir. Du reste, les « poules mouillées » elles-mêmes ne sont pas tranquilles, — fi ! Je n’y comprends rien ! » Alexan-