Rogojine, comme on le lui avait conseillé. S’étant assis sur le divan, il s’accouda contre la table et s’absorba dans ses réflexions.
Combien de temps elles durèrent, quel en fut l’objet — Dieu le sait. Le prince avait plusieurs craintes, et c’était pour lui une souffrance extrême de sentir qu’il craignait. Tour à tour il pensa à Viéra et à Lébédeff : l’employé savait peut-être quelque chose au sujet de cette affaire ; en tout cas, s’il ne savait rien, il était plus en mesure que lui de se renseigner. Puis le prince songea à Hippolyte et se rappela que ce dernier avait reçu la visite de Rogojine. Ensuite l’idée de Rogojine lui-même occupa l’esprit de notre héros : on l’avait vu dernièrement aux obsèques du général Ivolguine ; — le prince l’avait rencontré dans le parc ; — il était venu ici, dans le corridor, s’était caché dans un coin et, armé d’un couteau, avait attendu le prince. Celui-ci se rappela de quel éclat brillaient alors dans l’obscurité les yeux de Rogojine. Il frissonna ; l’idée embryonnaire, qui l’obsédait tantôt, venait maintenant de se préciser tout à coup.
Voici à peu près la forme qu’elle avait prise : « Si Rogojine est à Pétersbourg, se disait le prince, il peut bien se cacher momentanément ; mais, en fin de compte, bien ou mal disposé, il ne manquera pas de venir à moi ; fût-ce comme l’autre fois, il viendra. Si, pour une raison quelconque, Rogojine a besoin de me voir, il reviendra naturellement ici, dans ce corridor. Il ne sait pas mon adresse, par conséquent il peut très-bien supposer que je suis descendu à mon ancien hôtel ; du moins, il essayera de me trouver ici… s’il a grand besoin de moi. Et, qui sait ? peut-être lui suis-je très-nécessaire ? »
Ainsi pensait le prince et cette idée lui paraissait tout à fait admissible. Il n’aurait pas su en donner la raison, s’il s’était mis à l’approfondir. Pourquoi, par exemple, se figurait-il qu’il était devenu tout d’un coup si nécessaire à Rogojine, et qu’un rapprochement ne pouvait pas ne pas s’effectuer entre eux ? Il lui aurait été impossible de le dire. Mais