Page:Dostoïevski - Le Bouffon (paru dans l'Almanach illustré), 1848.djvu/4

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Ce qu’il y avait de plus drôle en lui, c’est qu’il était habillé comme tout le monde, ni mieux, ni pis que les autres, toujours propre, non sans quelque recherche, et manifestant au surplus une tendance à présenter une allure solide et pleine de gravité.

Cette apparence extérieure, et en même temps cette crainte intérieure qui semblait toujours le torturer, de même que ce besoin de s’humilier sans cesse, constituaient un contraste qui amenait à la fois le rire et la compassion. S’il était persuadé en son cœur – ce qui lui arrivait souvent malgré ses expériences – que tous ses interlocuteurs étaient des hommes bienveillants, capables de ne rire que d’eux-mêmes ou d’un épisode comique en soi et non de sa pitoyable personne, alors il aurait eu plaisir à enlever son habit ; il l’aurait endossé à l’envers et serait allé ainsi se promener dans les rues rien que pour amuser ses protecteurs et leur être agréable.

Encore un trait de son caractère : le drôle avait de l’amour-propre et parfois, si aucun danger ne le menaçait, il manifestait quelque grandeur d’âme. Il fallait voir comme il savait arranger même un de ses protecteurs quand celui-ci dépassait les bornes permises. Le cas se présentait rarement, mais alors il ne ménageait rien et faisait preuve vraiment de quelque héroïsme.

Bref, c’était un martyr, dans le sens exact du mot, mais un martyr inutile et, pour cela même, tout à fait ridicule.

Une discussion générale ayant surgi, je vis soudain mon drôle monter précipitamment sur la table, criant pour rétablir le silence et demandant la parole.

– Écoutez, me dit l’hôte, il raconte parfois des choses très curieuses… Vous intéresse-t-il ?

Je fis de la tête un signe affirmatif et je me mêlai à la foule.

La vue de ce monsieur habillé convenablement, et qui hurlait debout sur une table, provoqua l’étonnement de certains et le rire des autres.

– Je connais Théodose Nikolaievitch ! Je le connais