Page:Dostoïevski - Le Sous-sol, 1909.djvu/48

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Certes, l’ennui fertilise l’imagination, car c’est par ennui qu’on enfonce les épingles d’or, mais cela ne serait rien encore. Le mal, c’est qu’on serait peut-être heureux de revenir aux épingles. Car l’homme est bête, phénoménalement bête, ou, pour mieux dire, il n’est pas bête du tout, mais il est tellement ingrat qu’il est impossible de trouver son pareil dans toute la création. Ainsi, je ne serais nullement étonné de voir brusquement surgir du sein de cette rationalité future quelque gentleman de physionomie commune ou plutôt railleuse et rétrograde qui nous dirait, les poings sur les hanches : « Eh bien, Messieurs, n’allons-nous pas appliquer une bonne fois un coup de pied à la raison dans le but unique d’envoyer les logarithmes au diable et de pouvoir vivre encore au gré de notre imbécile de volonté ? »

Cela encore ne serait rien, mais le fâcheux, c’est qu’il trouverait aussitôt des partisans : telle est la nature humaine. Et tout cela pour une cause à ce point futile qu’on n’en devrait même pas parler : c’est que, de tous temps et en tous lieux, il ne fut homme au monde qui n’aimât à agir selon sa volonté et non pas comme le lui commandent la raison et son intérêt. On peut certainement vouloir agir contre son avantage et même, il arrive que cela soit absolument nécessaire (telle est mon opinion). Notre propre désir, volontaire et libre, notre propre caprice, fût-il le plus fou, la fantaisie déchaînée jusqu’à l’extravagance, voilà en quoi con-