Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/377

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une plaie vive : en emmenant Aliocha chez Grouchegnka, il s’était attendu à tout autre chose, et sa déception était grande.

« C’est un Polonais, son officier, reprit-il en se contenant ; d’ailleurs, il n’est plus officier, maintenant ; il a été au service de la douane en Sibérie, à la frontière chinoise ; ce doit être un pauvre diable, on dit qu’il a perdu sa place. Il a sans doute eu vent que Grouchegnka a le magot et le voilà qui rapplique ; cela explique tout. »

De nouveau Aliocha ne parut pas avoir entendu. Rakitine n’y tint plus.

« Alors, tu as converti une pécheresse ? Tu as mis une femme de mauvaise vie dans la bonne voie ? Tu as chassé les démons, hein ! Les voilà, les miracles que nous attendions ; ils se sont réalisés ?

— Cesse donc, Rakitine ! dit Aliocha, l’âme douloureuse.

— Tu me « méprises » à présent à cause des vingt-cinq roubles que j’ai reçus ? J’ai vendu un véritable ami. Mais tu n’es pas le Christ, et je ne suis pas Judas.

— Rakitine, je t’assure que je n’y pensais plus ; c’est toi qui me le rappelles. »

Mais Rakitine était exaspéré.

« Que le diable vous emporte tous ! s’écria-t-il soudain. Pourquoi, diable, me suis-je lié avec toi ? Dorénavant, je ne veux plus te connaître. Va-t’en seul, voilà ton chemin. »

Il tourna dans une ruelle, abandonnant Aliocha dans les ténèbres. Aliocha sortit de la ville et regagna le monastère par les champs.


IV

Les noces de Cana

Il était déjà très tard pour le monastère, lorsque Aliocha arriva à l’ermitage ; le frère portier l’introduisit par une entrée particulière. Neuf heures avaient sonné, l’heure du repos après une journée aussi agitée. Aliocha ouvrit timidement la porte et pénétra dans la cellule du starets, où se trouvait maintenant son cercueil. Il n’y avait personne, sauf le Père Païsius, lisant l’Évangile devant le mort, et le jeune novice Porphyre, épuisé par l’entretien de la dernière nuit