Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 1.djvu/69

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— Je souffre… de ne pas croire…

— De ne pas croire en Dieu ?

— Oh, non, non, je n’ose pas penser à cela ; mais la vie future, quelle énigme : personne n’en connaît le mot ! Écoutez-moi, vous qui connaissez l’âme humaine et qui la guérissez ; sans doute, je n’ose pas vous demander de me croire absolument, mais je vous assure, de la façon la plus solennelle, que ce n’est pas par légèreté que je parle en ce moment : cette idée de la vie d’outre-tombe m’émeut jusqu’à la souffrance, jusqu’à l’épouvante… Et je ne sais à qui m’adresser, je n’ai jamais osé durant toute ma vie… Maintenant je me permets de m’adresser à vous… Ô Dieu ! pour qui allez-vous me prendre ! »

Elle frappa ses mains l’une contre l’autre.

« Ne vous inquiétez pas de mon opinion, répondit le starets ; je crois parfaitement à la sincérité de votre angoisse.

— Oh, comme je vous suis reconnaissante ! Voyez : je ferme les yeux et je songe. Si tous croient, d’où cela vient-il ? On assure que la religion a pour origine l’effroi inspiré par les phénomènes angoissants de la nature, mais que rien de tout cela n’existe. Eh bien, me dis-je, j’ai cru toute ma vie ; je mourrai et il n’y aura rien, et seule « l’herbe poussera sur ma tombe », comme s’exprime un écrivain. C’est affreux ! Comment recouvrer la foi ? D’ailleurs, je n’ai cru que dans ma petite enfance, mécaniquement, sans penser à rien… Comment me convaincre ? Je suis venue m’incliner devant vous et vous prier de m’éclairer. Car si je laisse passer l’occasion présente, plus jamais on ne me répondra. Comment me persuader ? D’après quelles preuves ? Que je suis malheureuse ! Autour de moi, personne ne se préoccupe de ces choses, et je ne saurais endurer cela toute seule. C’est accablant !

— Assurément ; mais ces choses-là ne peuvent pas se prouver, on doit s’en persuader.

— Comment, de quelle manière ?

— Par l’expérience de l’amour qui agit. Efforcez-vous d’aimer votre prochain avec une ardeur incessante. À mesure que vous progresserez dans l’amour, vous vous convaincrez de l’existence de Dieu et de l’immortalité de votre âme. Si vous allez jusqu’à l’abnégation totale dans votre amour du prochain, alors vous croirez indubitablement, et aucun doute ne pourra même effleurer votre âme. C’est démontré par l’expérience.

— L’amour qui agit ? Voilà encore une question, et quelle question ! Voyez : j’aime tant l’humanité que — le croiriez-