Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov, trad. Mongault, tome 2.djvu/51

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— Cinquante roubles de pourboire, si nous n’avons qu’une heure de retard.

— J’en réponds, Dmitri Fiodorovitch. »

Mitia, tout en s’agitant, donna des ordres d’une façon étrange, sans suite. Piotr Ilitch jugea à propos d’intervenir.

« Pour quatre cents roubles, exactement comme l’autre fois, commandait Mitia. Quatre douzaines de bouteilles de champagne, pas une de moins.

— Pourquoi une telle quantité, à quoi bon ? Halte ! s’exclama Piotr Ilitch. Que contient cette caisse ? Est-ce possible qu’il y en ait pour quatre cents roubles ? »

Les commis, qui s’empressaient avec des intonations doucereuses, lui expliquèrent aussitôt qu’il n’y avait dans cette première caisse qu’une demi-douzaine de bouteilles de champagne et « tout ce qu’il fallait pour commencer », hors-d’œuvre, bonbons, etc. Les principales « denrées » seraient expédiées à part, comme l’autre fois, dans une télègue à trois chevaux, qui arriverait « une heure au plus après Dmitri Fiodorovitch ».

« Pas plus tard qu’une heure, et mettez le plus possible de bonbons et de caramels ; les filles aiment ça, là-bas, insista Mitia.

— Des caramels, soit. Mais, pourquoi quatre douzaines de bouteilles ? Une seule suffit », dit Piotr Ilitch presque en colère.

Il se mit à marchander, à exiger une facture, ne sauva pourtant qu’une centaine de roubles. On tomba d’accord que les marchandises livrées ne montaient qu’à trois cents roubles.

« Après tout, que le diable t’emporte ! s’écria-t-il, comme se ravisant. Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Jette l’argent, s’il ne t’a rien coûté !

— Viens ici, lésineur, avance, ne te fâche pas ! dit Mitia en l’entraînant dans l’arrière-boutique. On va nous servir à boire. J’aime les gentils garçons comme toi. »

Mitia s’assit devant une petite table recouverte d’une serviette malpropre. Piotr Ilitch prit place en face de lui et l’on apporta du champagne. On demanda si ces messieurs ne voulaient pas des huîtres, « les premières huîtres reçues tout récemment ».

« Au diable les huîtres ! Je n’en mange pas, et d’ailleurs, je ne veux rien prendre, répondit grossièrement Piotr Ilitch.

— Pas de temps pour les huîtres, observa Mitia ; d’ailleurs, je n’ai pas d’appétit. Sais-tu, mon ami, que je n’ai jamais aimé le désordre ?