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je ne parlerai plus. Vous avez désormais la parole, Petre Alexandrovitch. Vous êtes le personnage le plus important… pour dix minutes.

III

En bas, dans la galerie en bois qui dessinait l’enceinte, il n’y avait que des femmes, une vingtaine de babas. On les avait prévenues que le starets les recevrait. La pomiestchitsa Khokhlakov avec sa fille attendaient dans la cellule réservée aux femmes du monde. La mère, riche, élégante, d’un extérieur avenant, un peu pâle, les yeux vifs et presque noirs, jeune encore, une femme de trente-trois ans, était dans sa cinquième année de veuvage. Sa fille, âgée de quatorze ans, avait les jambes paralysées ; depuis six mois, il lui était impossible de marcher, et on la roulait dans un fauteuil.

Très-jolie, quoique amaigrie par la souffrance, elle souriait toujours, et l’espièglerie rayonnait dans ses yeux grands et sombres, frangés de longs cils. La pomiestchitsa aurait voulu dès le printemps l’emmener à l’étranger, mais l’administration de son bien l’avait retenue. Arrivées depuis plus d’une semaine, elles n’avaient vu le starets pour la première fois que trois jours avant celui où commence ce récit. Elles étaient revenues, bien qu’on les eût informées que le starets ne recevait presque plus, demander instamment qu’on leur accordât une fois encore le bonheur de voir le grand médecin.