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Le starets se dirigea d’abord vers les babas. Aussitôt elles se pressèrent en foule vers le perron élevé de trois marches qui séparait l’enceinte de la basse galerie.

Le starets s’arrêta sur la plus haute marche, il revêtit une étole et commença à bénir les femmes agenouillées. On amena devant lui à grand’peine une klikouscha[1]. À peine eut-elle aperçu le starets qu’elle se mit à jeter des cris perçants, à hoqueter et à trembler. Le starets lui mit l’étole sur la tête, fit une courte prière, et aussitôt la malade se tut et se calma.

J’ai souvent, dans mon enfance, à la campagne, vu et entendu des klikouschas. On les menait à l’église où elles entraient en hurlant comme des chiens : et, tout à coup, devant l’autel où le Saint Sacrement était exposé, elles se calmaient, la possession cessait pour quelque temps. Cela m’intriguait fort. Mais les pomiestchiks et mes professeurs m’expliquèrent que tous ces manèges n’étaient que supercheries, et que les prétendues klikouschas simulaient la possession par paresse, afin qu’on les dispensât de travailler, que la sévérité venait toujours à bout de ces fausses maladies, et ils citaient à l’appui divers exemples. Par la suite, j’appris avec étonnement de certains médecins spécialistes qu’il n’y a là aucune supercherie, qu’il s’agit d’une terrible et trop réelle maladie féminine, particulièrement fréquente en Russie. Cette maladie, une des meilleures preuves de l’insupportable condition de nos paysannes, provient soit de travaux trop pénibles, supportés trop peu de temps après de laborieux accouchements opérés sans

  1. Possédée.