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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/26

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du Seigneur, plein de joie et priant pour toi. Pleure si tu veux, mais que ce soit des larmes de joie.

La femme l’écoutait sans relever sa tête courbée dans sa main. Elle soupira profondément.

— C’est ce que Nikitouschka me dit aussi pour me consoler. « Sotte que tu es, qu’il me dit, pourquoi pleurer ? Notre fils est chez Dieu et chante avec les autres anges les louanges du Très-Haut. » Mais il a beau dire, il pleure lui-même ; je le vois bien, qu’il pleure comme moi, et je lui réponds : Oui, Nikitouschka, je le sais, il ne peut être ailleurs que dans la maison de Dieu. Mais ici, ici, Nikitouschka, il n’y est plus, assis auprès de nous comme naguère. Si du moins je pouvais le voir une fois encore, rien qu’une fois, sans même m’approcher de lui, sans lui parler, blottie dans un coin en le regardant un instant pendant qu’il jouerait dans la cour, en criant comme jadis de sa petite voix : Maman, où es-tu ? Oh ! l’entendre seulement trotter avec ses petits pieds à travers la chambre ! Toc, toc, ses petits pieds allaient si vite quand il courait à moi en criant et en riant. Entendre seulement le bruit de ses petits pieds ! l’entendre seulement, le reconnaître ! Mais non, mon petit Père, plus jamais, je ne l’entendrai plus jamais. Voilà sa petite ceinture, mais lui, il n’y est plus ! et jamais je ne le verrai ! et jamais je ne l’entendrai !

Elle tira de son corsage une petite ceinture galonnée, et à peine l’eut-elle vue, qu’elle tressaillit, en proie à une crise de sanglots.

Elle cacha son visage dans ses mains, et entre ses doigts les larmes coulaient à flots.

— Voilà l’antique Rachel, dit le starets, qui pleure ses