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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/261

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pas pour de telles oies que le grand idéaliste a rêvé son harmonie. Voilà pourquoi mon inquisiteur revient sur ses pas et... se rallie aux hommes intelligents. Ne peux-tu comprendre cela ?

— A qui se rallier? A quels hommes intelligents? Ils n’ont aucune intelligence, aucun mystère. L’athéisme , voilà leur secret ! Ton inquisiteur ne croit pas en Dieu.

— Eh bien , et puis ? Tu y es enfin ! et en effet , l’a- théisme . voilà son secret ; mais quelle souffrance , même pour un homme comme lui qui a consumé sa vie en sacrifices dans le désert , et qui n’a pas pu se défaire de son amour pour l’humanité! Au déclin de ses jours, il se convainc clairement que seul le conseil du grand et terrible Esprit pourrait . au moins dans une certaine mesure, éta- blir un ordre acceptable pour les débiles révoltés, t ces êtres avortés, ces dérisions vivantes ». Que si l’on pai*- vient à se convaincre que l’Esprit a indiqué la vraie voie , ce terrible Esprit de mort et de ruine , il faut accepter , dès lors, le mensonge pour toute vérité, l’hypocrisie pour toute règle de conduite, et mener les hommes, en connaissance de cause, vers la mort et la ruine, en les trompant durant toute la route , parce que ces piteux aveugles ne voient pas où on les mène et se croient heureux. Remarque-le : mon vieillard ment au nom de Celui en qui, pourtant, il avait cru si ardemment pendant toute une vie. N’est-ce pas là une souffrance noble et grande? Mais qu’un seul homme tel que lui soit à la tète de cette armée « qui ne veut que le pouvoir et le bonheur terrestre », n’est-ce pas assez pour une tragédie? Je te parle franchement : je crois que mon inquisiteur se reproduit toujours