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Page:Dostoïevski - Les Frères Karamazov 1.djvu/92

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sacrifice de la vie, s’il le faut. Malheureusement, ces jeunes gens ne comprennent pas que le sacrifice de la vie est souvent le plus facile des sacrifices. Sacrifier cinq ou six ans de sa vie pour quelque tâche pénible, pour la science ou même simplement pour décupler ses forces afin d’être ensuite capable de se mesurer avec la vérité, voilà, pour la plupart, le sacrifice qui dépasse les forces humaines. Alioscha avait choisi sa voie comme ou fait une action d’héroïsme. Dès qu’il se fut sérieusement convaincu que Dieu existe et que l’âme est immortelle, il se dit : « Je veux vivre pour l’immortalité sans aucun compromis. » S’il s’était convaincu que Dieu n’existe pas et que l’âme n’est pas immortelle, il aurait, avec la même entière indépendance, vécu en athée et en socialiste (car le socialisme n’est pas seulement un problème économique et la question du quatrième état ; le socialisme est, dans son essence, la négation de Dieu, la corporisation de l’athéisme contemporain, la Tour de Babel qu’on élève sans Dieu, non pas pour monter de la terre au ciel, mais pour faire descendre le ciel sur la terre). Il semblait impossible à Alioscha de continuer à vivre comme il avait fait jusqu’alors, il est écrit : « Donne tout ce que tu as et suis-moi si tu veux atteindre à la perfection. » Alioscha pensa : « Au lieu de tout, vais-je me contenter de donner deux roubles ? Au lieu de le suivre, me contenterai-je d’aller à la messe ? » Le souvenir de sa mère le conduisant tout enfant au monastère influa peut-être aussi sur sa décision, et peut-être aussi les rayons obliques du soleil couchant devant l’icône à laquelle sa mère l’avait comme dédié ; et peut-être encore était-il venu dans la maison de son