Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/148

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temps quelque chose pour l’amour du Christ. Comment la laisse-t-on ainsi seule avec une bougie ?

J’étais étonné d’entendre Chatoff prononcer ces mots à haute voix comme si elle n’avait pas été dans la chambre.

— Bonjour, Chatouchka ! dit d’un ton affable mademoiselle Lébiadkine.

— Je t’amène un visiteur, Marie Timoféievna, répondit Chatoff.

— Eh bien, on lui fera honneur. Je ne sais qui tu m’amènes, je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu, reprit-elle en me regardant attentivement à la lueur de la bougie ; puis elle se remit à causer avec Chatoff, et pendant toute la durée de la conversation elle ne fit pas plus d’attention à moi que si je ne m’étais pas trouvé à côté d’elle.

— Cela t’ennuyait, n’est-ce pas ? de te promener tout seul dans ta chambrette ? demanda-t-elle avec un rire qui découvrit deux rangées de dents admirables.

— Oui, c’est pourquoi je suis venu te voir.

Chatoff approcha un escabeau de la table, s’assit et m’invita à en faire autant.

— J’aime toujours à causer, seulement je te trouve drôle, Chatouchka, tu es comme un moine. Quand t’es-tu peigné ? Donne-moi encore ta tête, dit-elle en tirant un peigne de sa poche, — je suis sûre que tu n’as pas touché à ta chevelure depuis que je t’ai peigné ?

— Mais je n’ai pas de peigne, répondit en riant Chatoff.

— Vraiment ? Eh bien, je t’en donnerai un, pas celui-ci, un autre ; seulement n’oublie pas de t’en servir.

Elle commença à le peigner de l’air le plus sérieux, lui fit même une raie sur le côté, puis, après s’être un peu rejetée en arrière pour contempler son ouvrage et s’assurer qu’il ne laissait rien à désirer, elle remit son peigne dans sa poche.

— Sais-tu une chose, Chatouchka ? dit-elle en hochant la tête, — tu es un homme de sens, et pourtant tu t