Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/170

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fera.

Marie Timoféievna prit la tasse et dit en français « merci » au domestique ; puis elle se mit à rire à la pensée de l’inadvertance qu’elle venait de commettre, mais, rencontrant le regard sévère de Barbara Pétrovna, elle se troubla et posa la tasse sur la table.

— Tante, vous n’êtes pas fâchée ? murmura-t-elle d’un ton enjoué.

Ces mots firent bondir sur son siège Barbara Pétrovna.

— Quoi ? cria-t-elle en prenant son air hautain, — est-ce que je suis votre tante ? Que voulez-vous dire par là ?

Marie Timoféievna ne s’attendait pas à ce langage courroucé ; un tremblement convulsif agita tout son corps, et elle se recula dans le fond de son fauteuil.

— Je… je pensais qu’il fallait vous appeler ainsi, balbutia-t- elle en regardant avec de grands yeux Barbara Pétrovna, — j’ai entendu Lisa vous donner ce nom.

— Comment ? Quelle Lisa ?

— Eh bien, cette demoiselle, répondit Marie Timoféievna en montrant du doigt Élisabeth Nikolaïevna.

— Ainsi, pour vous elle est déjà devenue Lisa ?

— C’est vous-même qui tantôt l’avez appelée ainsi, reprit avec un peu plus d’assurance Marie Timoféievna. — Il me semble avoir vu en songe cette charmante personne, ajouta-t-elle tout à coup en souriant.

À la réflexion, Barbara Pétrovna se calma un peu ; la dernière parole de mademoiselle Lébiadkine amena même un léger sourire sur ses lèvres. La folle s’en aperçut, se leva et de son pas boiteux s’avança timidement vers la générale.

— Prenez-le, j’avais oublié de vous le rendre, ne vous fâchez pas de mon impolitesse, dit-elle en se dépouillant soudain du châle noir que Barbara Pétrovna lui avait mis sur les épaules peu auparavant.

— Remettez-le tout de suite et gardez-le. Allez vous asseoir, buvez votre café, et, je vous en prie, n’ayez pas peur de moi, ma chère, rassurez-vous. Je commence à vous comprendre.