Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/24

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si peur qu’il ne se défendit même pas et se laissa houspiller sans presque souffler mot. Mais lorsque son ennemi eut lâché prise, il montra toute la susceptibilité d’un galant homme qui vient de subir un traitement indigne. Virguinsky passa la nuit suivante aux genoux de sa femme, lui demandant un pardon qu’il n’obtint point, parce qu’il ne consentit pas à aller faire des excuses à Lébiadkine. Le capitaine d’état-major disparut peu après, et ne revint chez nous que dans les derniers temps, ramenant avec lui sa sœur. J’aurai à parler plus loin des visées qu’il se mit dès lors à poursuivre. On comprend que le pauvre Virguinsky ait cherché une distraction dans notre société. Jamais, du reste, il ne causait avec nous de ses affaires domestiques. Une fois seulement, comme lui et moi revenions ensemble de chez Stépan Trophimovitch, il laissa échapper une vague allusion à son infortune conjugale, mais pour s’écrier aussitôt après en me saisissant la main :

Ce n’est rien, c’est seulement un cas particulier, cela ne gêne en rien l’« œuvre commune » !

Notre petit cercle recevait aussi des visiteurs d’occasion, tels que le capitaine Kartouzoff et le Juif Liamchine. Ce dernier était employé à la poste, il possédait un grand talent de pianiste ; en outre, il imitait à merveille le bruit du tonnerre, les grognements du cochon, les cris d’une femme en couche et les vagissements d’un nouveau-né. Sa présence était un élément de gaieté dans nos réunions.