Page:Dostoïevski - Les Possédés, Plon, 1886, tome 1.djvu/321

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— Je déclare, fit-il d’une voix rauque (les mots avaient peine à sortir de sa gorge desséchée), — que cet homme (ce disant, il montrait encore Stavroguine avec son pistolet) a tiré en l’air exprès… de propos délibéré… C’est une nouvelle offense ! Il veut rendre le duel impossible !

— J’ai le droit de tirer comme je veux, pourvu que je me conforme aux règlements, — observa d’un ton ferme Nicolas Vsévolodovitch.

— Non, il ne l’a pas ! Faites-le-lui comprendre ! cria Gaganoff.

— Je partage tout à fait l’opinion de Nicolas Vsévolodovitch, dit à haute voix Kiriloff.

— Pourquoi m’épargne-t-il ? vociféra Artémii Pétrovitch, qui n’avait pas écouté l’ingénieur. — Je méprise sa clémence… Je crache dessus… Je…

— Je vous donne ma parole que je n’ai nullement voulu vous offenser, dit avec impatience Stavroguine, — j’ai tiré en l’air, parce que je ne veux plus tuer personne, pas plus vous qu’un autre ; ma résolution n’a rien qui vous soit personnel. Il est vrai que je ne me considère pas comme insulté, et je regrette que cela vous fâche. Mais je ne permets à personne de s’immiscer dans mon droit.

— S’il n’a pas peur de verser le sang, demandez-lui pourquoi il m’a appelé sur le terrain ! cria Gaganoff s’adressant comme toujours à Maurice Nikolaïévitch.

Ce fut Kiriloff qui répondit :

— Il fallait bien qu’il vous y appelât ! Vous ne vouliez rien entendre, comment donc se serait-il débarrassé de vous ?

— Je me bornerai à une observation, dit Maurice Nikolaïévitch qui avait suivi la discussion avec un effort pénible : — si l’un des adversaires déclare d’avance qu’il tirera en l’air, le duel en effet ne peut continuer… pour des raisons délicates et… faciles à comprendre.

— Je n’ai nullement déclaré que je tirerais en l’air chaque fois ! cria Stavroguine poussé à bout. — Vous ne savez pas du tout quelles sont mes intentions, et comment je tirerai tout à l’heure… Je n’empêche le duel en aucune façon.