Page:Dostoïevski - Souvenirs de la maison des morts.djvu/275

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une voiture à deux chevaux avec des grelots. C’étaient les filles qui l’aimaient ! car il jouait bien du théorbe…

— Alors, c’est vrai qu’il avait eu des affaires avec cette Akoulka ?

— Attends donc. Je venais d’enterrer mon père ; ma mère cuisait des pains d’épice ; on travaillait pour Ankoudim, ça nous donnait de quoi manger, mais on vivait joliment mal ; nous avions du terrain derrière la forêt, on y semait du blé ; mais quand mon père fut mort, je fis la noce. Je forçais ma mère à me donner de l’argent en la rossant moi aussi…

— Tu avais tort de la battre. C’est un grand péché !

— J’étais quelquefois ivre toute la sainte journée. Nous avions une maison couci couça toute pourrie si tu veux, mais elle nous appartenait. Nous crevions la faim ; il y avait des semaines entières où nous mâchions des chiffons… Ma mère m’agonisait de sottises, mais ça m’était bien égal… Je ne quittais pas Philka Marosof, nous étions ensemble nuit et jour. « Joue-moi de la guitare, me disait-il, et moi je resterai couché ; je te jetterai de l’argent parce que je suis l’homme le plus riche du monde ! » Il ne savait qu’inventer. Seulement il ne prenait rien de ce qui avait été volé. « Je ne suis pas un voleur, je suis un honnête homme ! » — « Allons barbouiller de goudron la porte d’Akoulka, parce que je ne veux pas qu’elle épouse Mikita Grigoritch ! J’y tiens plus que jamais. » Il y avait déjà longtemps que le vieillard voulait donner sa fille à Mikita Grigoritch : c’était un homme d’un certain âge qui trafiquait aussi et qui portait des lunettes. Quand il entendit parler de la mauvaise conduite d’Akoulka, il dit au vieux : « — Ce sera une grande honte pour moi, Ankoudim Trophimytch ; au reste je ne veux pas me marier, maintenant