Page:Dostoïevski - Un adolescent, trad. Bienstock et Fénéon, 1902.djvu/62

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— Eh bien, prenez.

Il tira de sa poche dix roubles, je lui remis l’album.

— Mais avouez que c’est malhonnête !

— Pourquoi malhonnête ? C’est un marché:..

— Il est joli, le marché !

Il commençait à se fâcher.

— Eh, oui ! notre trafic est dominé par la loi de l’offre et de la demande. Vous n’y pouvez rien ; moi non plus. Si vous ne m’aviez pas demandé cet album, j’aurais pu vous l’offrir pour quarante kopeks.

Je riais intérieurement, mais non de satisfaction ; je riais je ne sais de quoi, pour un rien j’aurais pouffé. Mais je gardais mon sérieux.

— Ecoutez, murmurai-je sur un ton tout à fait ami­cal (et, de fait, je ressentais en ce moment une vive amitié pour mon interlocuteur), écoutez... James Rothschild, le défunt, celui de Paris, celui qui a laissé dix-sept cents millions, était fort jeune encore ; un hasard fit qu’il connut l’assassinat du duc de Berry, quelques heures avant que la nouvelle s’en ébruitât : spéculant sur la baisse, il joua, et du coup gagna quelques millions. Voilà comment fait un homme qui a le sens des circonstances.

— Alors vous êtes Rothschild ? me cria-t-il avec indignation, comme à un idiot.

Je m ’éloignai, rapide.

Un pas de fait et sept roubles quatre-vingt-quinze de gagnés, ainsi se soldait mon opération. Un pas de géant ? Non, un pas d’enfant, mais qui, du moins, concordait avec mon idée et, à ce titre, avait son importance. Le billet de dix roubles était dans là poche de mon gilet ; je l’y enfonçai : et je continuai à marcher, la main engagée dans mon gousset. Un moment après, je tirai le précieux papier ; complai­-