Page:Dostoievski - Les Pauvres Gens.djvu/230

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tomba droit dans la caisse de l’instrument, là où l’on voyait un Français danser avec des dames. Au tintement de la monnaie l’enfant tressaillit soudain, il regarda timidement autour de lui et, sans doute, crut que c’était moi qui avais donné l’argent. Il accourut vers moi et d’une main tremblante me tendit son papier en balbutiant : — « Une lettre ! » Je dépliai le billet et j’y lus la supplique bien connue : — « Mes bienfaiteurs, je suis mourante, mes trois enfants ont faim, venez-nous en aide à présent, et quand je serai morte, mes bienfaiteurs, je ne vous oublierai pas dans l’autre monde, vous qui, ici-bas, n’avez pas oublié mes chers petits. » Eh bien, quoi ? l’affaire était claire, elle se voit tous les jours, mais que pouvais-je faire pour eux ? Bref, je n’ai rien donné à l’enfant. Et pourtant quelle pitié il m’inspirait ! Un pauvre petit garçon bleui par le froid, mourant de faim peut-être, il ne mentait pas, je suis sûr qu’il ne mentait pas : je connais cela. Seulement il y a une chose qui me révolte : pourquoi ces mauvaises mères, sans souci de la santé de leurs enfants, les envoient-elles à demi nus par un temps pareil solliciter la charité sur la voie publique ? C’est peut-être une