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Page:Dostoievski - Niétotchka Nezvanova.djvu/154

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Je ne me couchai pas avant trois heures du matin. Je réfléchissais tout le temps en marchant de long en large dans ma chambre. Ma situation était plus difficile que jamais, mais je me sentais plus calme, peut-être parce que je me sentais la plus coupable. Je me mis au lit en attendant avec impatience le lendemain.

Mais le lendemain, à mon triste étonnement, je remarquai chez Alexandra Mikhaïlovna une froideur inexplicable. D’abord il me sembla que cette pure et noble créature souffrait de rester en ma compagnie après la scène de la veille avec son mari, scène dont involontairement, j’avais été témoin ; je savais qu’elle était capable de rougir devant moi et même de me demander pardon, si la malheureuse scène d’hier avait offensé mon cœur. Mais bientôt je remarquai en elle un autre souci et un dépit qui se manifestait très gauchement. Tantôt elle me répondait froidement, sèchement, tantôt on discernait dans ses paroles un sens particulier, tantôt enfin, tout d’un coup, elle devenait avec moi très tendre comme si elle se fût reproché cette sévérité qui ne pouvait pas être dans son cœur, et ses douces paroles résonnaient comme un reproche. Enfin je lui demandai nettement si elle n’avait pas quelque chose à me dire. Ma brusque question tout d’abord la troubla un peu, mais aussitôt, levant sur moi ses grands yeux doux et me regardant avec un sourire tendre, elle me dit :

— Ce n’est rien, Niétotchka. Seulement, sais-tu, ta question a été si inattendue que cela m’a troublée un peu. C’est parce ta question a été si brusque, je t’assure. Mais écoute-moi, mon enfant, et dis-moi la vérité : As-tu sur le cœur quelque chose qui t’aurait fait te troubler si l’on t’avait interrogée aussi brusquement et à l’improviste ?

— Non, répondis-je en la regardant d’un œil clair.

— C’est bien ! Si tu savais, mon amie, comme je te suis reconnaissante pour cette belle réponse. Non que je puisse le soupçonner de quelque chose de mauvais, ça jamais ! Je ne me pardonnerais pas une pareille pensée. Mais écoute : quand je t’ai prise, tu étais une enfant, et maintenant tu as dix-sept ans. Tu vois que je suis malade, je suis moi-même comme une enfant, qu’il faut soigner encore. Je n’ai pas pu remplacer une mère, bien que je t’aime autant. Si maintenant quelque chose me tourmente ce n’est certainement pas toi qui en es