Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/91

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sorte de silence stoïque. Nous ne nous plaindrons même pas, nous ne réclamerons même pas, nous subirons ; nous subirons avec une sorte de dédain et de mépris hautain. C’est là la conclusion morale du système philosophique d’Alfred de Vigny. Et, fidèle à son procédé de traduction poétique, voici par quel symbole ingénieux il le traduit : il suppose, dans une pièce intitulée la Mort du Loup, que des chasseurs ont frappé à mort un loup et que le loup ne s’est pas défendu. Seulement, il est resté là, il a tenu tête aux chasseurs jusqu’à ce que la louve et ses petits eussent eu le temps de se mettre en sûreté. Alors, il s’est affaissé, il est tombé, il est mort. Et il semble au poète que ce loup, ce loup héroïque, ce loup philosophe a donné une leçon à l’homme.

J’ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n’ai pu me résoudre
À poursuivre sa louve et ses fils, qui, tous trois,
Avaient voulu l’attendre, et, comme je le crois.
Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l’eût pas laissé seul subir la grande épreuve ;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
À ne jamais entrer dans le pacte des villes
Que l’homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas ! ai-je pensé, malgré ce grand nom d’hommes,
Que j’ai honte de nous, débiles que nous sommes !
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C’est vous qui le savez, sublimes animaux !
À voir ce que l’on fut sur terre et ce qu’on laisse,
Seul, le silence est grand ; tout le reste est faiblesse.