Page:Doumic - La Poésie lyrique en France au dix-neuvième siècle, 1898.djvu/92

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— Ah ! je t’ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !
Il disait : "Si tu peux, fais que ton âme arrive,
À force de rester studieuse et pensive.
Jusqu’à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j’ai tout d’abord monté.
Gémir, pleurer, prier, est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."

Je n’ai pas besoin de vous montrer ce qu’il y a de noblesse dans ce stoïcisme farouche.

Ajoutez que si Alfred de Vigny note cette misère de la condition humaine, il ne se contente pas de nous la signaler, et il passe à ce qui vaut mieux que la constatation de la misère, à savoir, la pitié pour cette misère. Alfred de Vigny, en voyant ce que nous souffrons et comme nous sommes condamnés à souffrir, à défaut d’autre chose, nous prend en pitié, et il a écrit un des plus beaux vers qui soient dans notre langue, justement sur cette sympathie que la souffrance doit inspirer. C’est Vigny qui a écrit :

J’aime la majesté des souffrances humaines,

La majesté des souffrances humaines ! Vous voyez combien l’expression est belle. Car, sans doute, ce qui fait la grandeur de l’homme, c’est qu’il souffre et c’est qu’il mérite par la souffrance.

Il y a, à coup sûr, une doctrine supérieure à celle de Vigny, c’est celle qui consiste, au lieu d’un stoïcisme farouche, à nous donner la confiance dans