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la vierge du sabotier

changé. Nature mélancolique et rêveuse, il demeurait isolé parmi les gens grossiers qui l’entouraient, et seule la gaîté de Suzel parvenait à l’égayer.

Il était demeuré chez son bienfaiteur, qui le regardait comme son enfant, tout en lui reprochant souvent son peu de goût pour son art.

« Si tu voulais, tu serais un maître sabotier comme ton père ! »

Mais ce n’était pas là ce que rêvait le jeune homme.

… Cette année-là, comme d’ordinaire, maître Wonguen se rendit avec sa fille à la fête du village. Suzel eut un véritable triomphe. Au bal, tous les garçons se disputèrent la faveur de la faire danser ; et elle-même, flattée de ces hommages, s’abandonna tout entière au plaisir.

Deux jeunes gens surtout se montraient très empressés : Christian Dane et Pierre Ritcher.

Christian était un grand gaillard aux épaules larges, à la voix impérieuse, à l’allure décidée. Il travaillait chez maître Wonguen depuis moins longtemps que Frantz, mais c’était un ouvrier autrement capable, aussi se gênait-il nullement pour le rudoyer à l’occasion.

Pierre Ritcher, petit, vif, alerte, toujours de bonne humeur, contrastait absolument avec Christian. Insouciant et flâneur, on ne l’estimait guère dans les ateliers, mais on le recherchait dans toutes les fêtes, qu’il animait de son intarissable verve.

Pendant ce temps, Frantz, assis dans un coin, se sentait triste et malheureux. Il souffrait de voir Christian enlever comme une plume sa danseuse dans ses bras robustes ; il souffrait plus encore de la voir rire et plaisanter avec Pierre.

Comme tous deux passaient devant lui sans l’apercevoir, il entendit le joyeux garçon dire à sa compagne :