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les apprentis de l’armurier

oublié que c’était à sa femme et non à lui de régner sur ce comté, envié des rois, en attendant, pour sa délivrance, la rançon que sa noble épouse ne se hâtait pas de rassembler.

Par la façon dont elle traitait sa famille, on pouvait juger du sort de ses sujets, écrasés d’impôts et de vexations, et sur lesquels sa main blanche et fine pesait plus lourdement que n’avait pesé le poing ganté de fer du comte Baudouin, son père.

Aussi les Flamands, assez turbulents de leur naturel, murmuraient-ils sourdement, et chaque ville envoyait-elle force députations, chargées de transmettre à la comtesse les plaintes et doléances de son peuple, qu’elle accueillait, du reste, aussi mal que possible.

Au moment où commence cette histoire, Jeanne, assise dans son grand fauteuil seigneurial, écoutait, avec une impatience visible, les humbles remontrances des notables de Lille, dont un des échevins, un riche armurier, nommé Pierre Randaël, était le porte-parole.

Avec une respectueuse fermeté, le harangueur rappelait ce que les Lillois avaient souffert pour leurs seigneurs sous le défunt roi de France, Philippe-Auguste, et réclamaient les franchises et privilèges que leur avait promis formellement le comte Ferrand, lorsqu’ils s’étaient révoltés en sa faveur ; rébellion que le vainqueur de Bouvines avait châtiée en brûlant la ville… Il est vrai qu’elle n’avait pas tardé, au reste, à renaître de ses cendres, plus belle et plus prospère qu’auparavant.

La comtesse ne l’ignorait pas, aussi, coupant brusquement la parole à l’orateur :

— Par saint Georges ! que me bâillez-vous là, mes maîtres ? dit-elle d’un ton moqueur ; vous venez pleurer misère et vous serez bientôt la plus riche cité des Flandres. Allez !