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les apprentis de l’armurier

je connais votre malice : vous voudriez profiter de la captivité de mon époux pour secouer l’autorité de vos maîtres légitimes. Prenez-y garde, je ne suis qu’une femme ; mais je manierais aussi facilement la hache de mon aïeul, Baudouin le Justicier, que je manie ma quenouille.

D’un geste impérieux, elle congédia les députés, marris et déconcertés, incapables de tenir ouvertement tête à l’orage.

Maître Randaël, lui, demeuré le dernier, essaya bien de soutenir son rôle et de sauver sa dignité par quelques phrases bien senties ; mais l’irascible princesse le foudroya d’un : « Vous êtes encore là ! », accompagné d’un tel regard que le pauvre homme, terrifié et balbutiant, lâcha pied à son tour, et, heurtant les meubles, trébuchant dans les tapis, suivit précipitamment ses collègues, dont la retraite ressemblait à une déroute.

Restée seule, la comtesse fit quelques pas en silence, réfléchissant profondément ; puis, s’arrêtant devant un personnage qui se tenait à l’écart, immobile et muet :

— Que te semble de l’insolence de ces manants, Hartwelt ?

— Un mot de vous, madame, a suffi à les disperser comme une volée de moineaux.

— Oui, quitte à se rassembler un peu plus loin, murmura Jeanne le front soucieux.

Hartwelt l’observait avec attention.

C’était un homme de cinquante ans, aux traits durs, au regard fourbe et cruel, sans peur et sans scrupule, il était l’âme damnée de sa maîtresse et l’exécuteur de ses ordres sanguinaires, ne reculant devant aucune besogne.

— Vous êtes la tête et je suis le bras, avait-il coutume de dire.