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Page:Dousseau - Grenade, 1872.djvu/16

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présent qu’en vue d’un avenir dont il ne jouira peut-être pas, — l’autre va droit son chemin, et il emporte avec lui la jeunesse aventureuse, la vigueur du corps, l’ardeur de l’âme du pauvre touriste qui, d’infatigable qu’il était, devient lent, lourd, souffreteux, grincheux, et incapable de voyager désormais ailleurs que dans ses souvenirs ! en attendant une si déplorable décadence, revisitons l’Espagne.

L’Espagne ! Que de poésie dans ce seul mot ! — Dans cette Europe encore fortement teintée d’Afrique, que de beautés, de singularités naturelles et que le temps respecte, et combien d’autres curiosités insignes, œuvres de l’art humain, et que le temps outrage ! Combien de reliques de siècles écoulés et de civilisations éteintes, de monuments abattus, de débris épars ! Tristes témoignages du choc des nationalités et des religions diverses, des efforts de l’ambition et des fureurs de la guerre ! Dans cet étrange pays, le touriste rentre la tête pleine et de légendes entre lesquelles l’entente cordiale ne règne guère ! C’est une confusion de casques, turbans, lances et cimeterres, preux chevaliers et brigands endiablés, femmes adorables, tendres caresses et grands coups de poignard, castagnettes, guitares et sérénades ; trabucos, navajas et autres bijoux ; et la croix et le croissant, les arrières et les toréadors, les cathédrales et les alcazars — La cervelle du touriste, qui déjà connait bien le pays, est comme un bazar rempli des objets les plus bizarres et les plus disparates.

Avec tout ce bagage, le 1er mai 1866 le touriste traverse la Bidassoa à son embouchure, rentre en Espagne au point où il en était sorti dans un voyage précédent et quitte le chemin de fer à la station d’Irun ; c’est que la route de la côte est une promenade très pittoresque, bien qu’assez rude ; donc sac au dos, et vive la liberté… de l’allure !… San Sebastiano, avec son roc qui en fait un petit Gibraltar, Bilbao, port de rivière, et ses collines ; Santander avec sa petite baie, sont trois havres intéressants, qui, à eux trois, sont loin d’égaler le havre normand ! entre eux, côtes hautes et rocheu-