— Que Dieu le bénisse et le garde de tout mal ! s’écria mon père.
— On est charmé de vous entendre parler ainsi, dit mon oncle. Il faut venir à la campagne pour trouver le loyalisme sincère, car à la ville, ce qui est le plus en faveur, c’est la raillerie narquoise et maligne. Le Roi m’est reconnaissant du soin que je me suis toujours donné pour son fils. Il aime à se dire que le Prince a dans son entourage un homme de goût.
— Et le Prince, demanda ma mère, a-t-il bonne tournure ?
— C’est un homme fort bien fait. De loin, on l’a pris pour moi. Et il n’est pas dépourvu de goût dans l’habillement, bien qu’il ne tarde pas à tomber dans la négligence, si je reste longtemps loin de lui. Je parie que demain, il aura une tache de graisse sur son habit.
À ce moment-là, nous étions tous assis devant le feu, car la soirée était devenue d’un froid glacial.
La lampe était allumée, ainsi que la pipe de mon père.
— Je suppose, dit-il, que c’est votre première visite à Friar’s Oak ?
La physionomie de mon oncle prit aussitôt une expression de gravité sévère.
— C’est ma première visite depuis bien des années, dit-il. La dernière fois que j’y vins, je n’avais que vingt et un ans. Il est peu probable que j’en perde le souvenir.
Je savais qu’il parlait de sa visite à la Falaise royale à l’époque de l’assassinat et je vis à la figure de ma mère qu’elle savait aussi de quoi il s’agissait. Mais mon père n’avait jamais entendu parler de l’affaire, ou bien il l’avait oubliée.
— Vous étiez-vous installé à l’auberge ?