Page:Doyle - Le Monde perdu.djvu/72

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avait là des branches emmêlées, un tronc fracassé, toute une masse confuse, — notre hêtre ! Le bord de la plate-forme avait-il cédé sous l’arbre ? À peine l’idée m’en venait-elle qu’à l’extrémité opposée de l’aiguille une face basanée surgit lentement, la face de Gomez le métis : non pas telle que nous la connaissions encore, figée, comme un masque, dans un sourire d’humilité, mais les yeux étincelants, les traits tordus, et tout entière convulsée par la haine, par la joie folle de la vengeance !

— Lord Roxton ! cria Gomez, lord John Roxton !

— Eh bien ? dit notre compagnon, je suis là !

Un éclat de rire franchit l’abîme.

— Oui, chien d’Anglais, vous êtes là, et vous y resterez ! J’ai attendu, attendu… J’ai enfin mon heure ! Vous avez eu quelque peine à monter, vous en aurez davantage à descendre ! Fous que vous êtes, vous voilà pris au piège ! Et tous ensemble, tous !

Muets de stupeur, nous restions cloués sur place. Une branche cassée dans l’herbe, nous disait de quel levier il s’était servi pour faire glisser le pont. Sa face s’éclipsa un instant, puis reparut, plus frénétique.

— Peu s’en est fallu que nous vous écrasions sous une pierre, là-bas, dans la caverne. Mais ceci vaut mieux. C’est la mort plus lente et plus terrible. Vos os blanchiront là-haut, sans que personne sache jamais où, sans qu’on leur donne jamais la sépulture ! Pendant votre agonie, songez à Lopez, tué par vous, il y a cinq ans, sur les rives du Putamayo. Je suis son frère ; et maintenant, advienne que pourra, je mourrai content, ayant vengé sa mémoire !

Un poing furieux s’agita dans notre direction. Puis tout redevint calme. Gomez, sa vengeance accomplie, n’aurait eu qu’à prendre la fuite pour qu’il ne lui arrivât rien de fâcheux ; mais ce besoin fou de dramatiser auquel, jamais, un Latin ne résiste, causa sa perte. Celui qui dans ces pays avait mérité qu’on l’appelât le « Fléau de Dieu » n’était pas homme à se laisser braver impunément. Le métis, pour redescendre, avait contourné l’aiguille. Lord Roxton n’attendit pas qu’il touchât au sol ; courant au bord du plateau, il gagna un point d’où il pût viser son homme. Nous entendîmes une petite détonation, un grand cri, le bruit d’un corps qui tombe ; et lord Roxton revint vers nous.

— Je me suis conduit comme un nigaud, fit-il, le visage durci, la voix amère. C’est ma stupidité qui vous vaut l’ennui où vous êtes. Les dettes du sang ne s’effacent pas de longtemps dans la mémoire de ces hommes. J’aurais dû me le rappeler et me tenir un peu sur mes gardes.

— Et l’autre ? Il leur a fallu se mettre à deux pour bouger l’arbre.

— Je pouvais le tuer. C’eût été sans doute justice. Il aura, comme vous dites, prêté la main à tout ceci. Mais ce n’est qu’une présomption et je lui ai fait grâce.

À présent que l’acte du métis nous éclairait sur ses façons d’être, tous nous nous remémorions de lui quelque trait suspect : son constant désir de connaître nos plans ; son arrestation un soir par Zambo qui


résumé (Suite)

seraient et dévoreraient les plus grands, les plus féroces de nos mammifères, existent encore….. Le comité, composé de M. Summerlee, un vieux professeur d’anatomie comparée, de John Roxton, voyageur et chasseur de réputation mondiale et enfin d’Édouard Malone, s’est donc embarqué à destination du Sud-Amérique. À Manaos, au bord de l’Amazone, les trois hommes retrouvent d’une façon inattendue Challenger lui-même, qu’ils croyaient resté en Europe. Ils s’enfoncent avec lui en plein pays sauvage, après s’être adjoint un nègre, le gigantesque Zambo, deux métis, Gomez et Manoel, et un petit groupe d’Indiens. Quelques jours plus tard, ils parviennent « à la lisière de l’inconnu ». L’« inconnu », c’est un vaste plateau circonscrit par des falaises basaltiques d’une grande hauteur et qui défient d’autant plus l’ascension que, verticales à leur base, elles sont en surplomb à leur partie supérieure Les explorateurs, toutes leurs tentatives pour trouver une brèche dans cette énorme muraille circulaire ayant été vaines, ne sont cependant pas découragés. Au surplus, l’apparition nocturne d’un animal monstrueux, de tous points semblable à certains êtres que dépeignent les traités de paléontologie, vient surexciter encore leur curiosité. Challenger s’avise alors d’un moyen héroïque. Face à la haute falaise se dresse une aiguille rocheuse d’égale élévation. Elle est surmontée d’un hêtre. Cet arbre servira de pont. En effet, les quatre Européens, une fois l’aiguille péniblement escaladée, abattent le hêtre de façon à diriger sa chute vers le bord opposé de l’abîme ouvert sous leurs yeux. L’opération réussit et bientôt ils sont réunis sur le sol mystérieux du « Monde perdu » ; les métis, montés à leur suite, sont restés de l’autre côté du pont.