Page:Dreyfus - Lettres d un innocent (1898).djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
170
LETTRES D’UN INNOCENT

tant que le but ne sera pas atteint : tout l’honneur de notre nom. Pour moi, quand je me sens sombrer sous tout réuni, quand je sens mon cerveau s’échapper, je pense à toi, à nos chers enfants, au déshonneur immérité jeté sur notre nom, je me raidis alors dans un effort violent de tout l’être, et je me crie à moi-même : Non, tu ne plieras pas sous la tempête ! Que ton cœur soit en lambeaux, ton cerveau broyé, tu ne succomberas pas avant d’avoir vu pour tes chers enfants le jour où l’honneur leur sera rendu !

C’est pourquoi, chère Lucie, je viens te crier toujours, à toi comme à tous, courage et plus que du courage, de la volonté… oh ! silencieuse, très silencieuse, car les paroles ne servent à rien, mais hardie, audacieuse, pour marcher au but ; la vérité tout entière, la lumière sur ce sinistre drame, tout l’honneur enfin de notre nom. Les moyens, il faut les employer tous, de quelque nature qu’ils soient — tous ceux que l’esprit peut suggérer pour avoir l’énigme de ce drame.

Le but est tout, lui seul est immuable. Je veux que nos enfants entrent dans la vie la tête haute et fière, je veux t’animer de ma suprême volonté ! Je veux te voir aboutir enfin, et il en serait temps, je te le jure.

Je souhaite que tu puisses m’apprendre bientôt quelque chose de certain, de positif, oh ! pour tous deux ma chère Lucie. T’écrire plus longuement ou te parler d’autre chose, sinon de ma grande et profonde affection pour toi, je ne le puis, car ma tête est trop fatiguée par cette épreuve, la plus terrible, la plus cruelle que puisse supporter un cerveau humain.