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LETTRES D’UN INNOCENT

mes longues journées, mes longues nuits, les bras croisés, n’ayant même rien à lire en tête à tête avec mes pensées, ne me soutenant que par la force du devoir, pour te soutenir par ma présence, pour voir enfin le jour où l’honneur nous sera rendu. Tu me demandes, chère Lucie, d’attendre avec calme, le jour où tu pourras m’annoncer la découverte de la vérité.

Demande-moi d’attendre tant que je pourrai ; mais avec calme, oh ! cela non, quand on m’a arraché tout vivant le cœur de la poitrine, quand je me sens frappé dans mon bien le plus précieux, dans toi, dans mes enfants… Quand mon cœur nuit et jour hurle de douleur, sans une minute de repos, quand, depuis dix-huit mois, je vis dans un cauchemar atroce !

Mais alors, ce que je veux avec une volonté farouche qui m’a fait tout supporter, qui m’a fait vivre, ce n’est pas protester de mon innocence par tes paroles, mais que tu marches, que vous marchiez tous, par n’importe quel moyen, à la conquête de la vérité, de la lumière sur cette sinistre histoire… tout notre honneur enfin…

Ce sont les paroles que je t’ai dites, avant mon départ, il y a déjà plus d’un an… et hélas ! ce n’est pas un reproche que je veux te faire, mais je vous trouve bien longs dans cette mission suprême, car ce n’est pas vivre que vivre sans honneur.

Aussi, dans mes longues nuits de torture, souffrant le martyre, combien souvent me suis-je dit : Ah ! comme j’aurais eu l’énigme de cet horrible drame, par n’importe quel moyen, eussé-je dû finalement mettre le couteau sur la gorge aux complices misérables, si insaisissables qu’ils soient, de ce vil cri-