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LE CAPITAINE DREYFUS

ces chers petits êtres, pour lesquels je donnerais, nous donnerions toutes les gouttes de notre sang, tout cela est parfois trop atroce et la douleur trop grande ; mais je ne suis, chère Lucie, ni découragé, ni abattu, crois-le bien. Plus les nerfs sont tendus à l’excès par tous les supplices, plus la volonté doit devenir vigoureuse dans son dessein d’y mettre un terme. Et le seul terme à nos tortures à tous, c’est la découverte de la vérité. Si je vis contre mon corps, contre mon cœur, contre mon cerveau, luttant contre tout cela avec une énergie farouche, c’est que je veux pouvoir mourir tranquille, sachant que je laisse à mes enfants un nom pur et honoré, te sachant heureuse. Ce qu’il faut te dire, nous dire à tous, c’est qu’il n’y a qu’un terme à notre situation : la lumière, et alors, partant de ce terme qui domine tout, il faut étouffer tout ce qui gronde dans nos cœurs, ne voir que lui et chercher à l’atteindre le plus tôt possible car les heures deviennent de plomb, en faisant appel, comme je te le disais hier au soir, à tous les concours, à toutes les bonnes volontés pour t’aider à faire la lumière ; je suis sûr que tu en trouveras et que devant cette douleur immense, effroyable d’une épouse, d’une mère qui ne veut que la vérité, l’honneur du nom que portent ses enfants, tout se taira, pour ne voir que le but suprême, cette œuvre aussi noble qu’élevée. Donc, chère Lucie, gémir, nous lamenter, nous entretenir de nos souffrances, tout cela ne nous avancera à rien.

Sois calme, réfléchie, mais rassemble ton courage, entoure-toi de tous les conseils pour poursuivre et atteindre le but et souhaitons pour toi que ce moment ne tarde plus trop.