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LE CAPITAINE DREYFUS
7 janvier 1895, lundi, 5 heures du soir.
Ma chérie,

J’ai supporté pour toi, mon adorée, pour le nom que portent mes chers enfants, le plus douloureux, le plus épouvantable des calvaires pour un cœur pur et honnête. Je me demande comment je vis encore ; ce qui me soutient, c’est surtout l’espoir d’être bientôt réuni à toi là-bas. Alors, quoique innocent, mais soutenu par ton profond amour, j’aurai la patience d’attendre dans l’exil la réhabilitation de mon nom. Puis je travaillerai, je m’occuperai, j’imposerai silence à mon cerveau et à mon cœur par les fatigues physiques. Mais, dans ma prison, je ne saurai vivre, car ma pensée me ramène toujours fatalement à ma situation.

On ne m’a pas remis de lettre de toi aujourd’hui ; ne t’inquiète pas non plus, ma chérie, si mes lettres ne te parviennent pas régulièrement. Cependant je t’écrirai tous les jours, tant que cela me sera permis.

J’ai été prévenu que je pourrai te voir le lundi et le vendredi. Hélas ! le lundi est passé et je suis obligé d’attendre jusqu’au vendredi. J’attendrai avec une joie extrême le moment de t’embrasser, de me jeter dans tes bras ; c’est dans tes yeux, dans ton noble cœur, que je puise les forces nécessaires pour supporter mes effroyables tortures morales.

J’aimerais presque mieux avoir quelque péché sur la conscience ; au moins aurais-je quelque chose à expier. Mais hélas ! tu sais, ma chérie, combien ma vie a toujours été honnête et droite.

Je ferai tout pour vivre, je ferai tout pour résister