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LE CAPITAINE DREYFUS
Vendredi, 4 heures.

On me remet ta lettre d’hier vendredi dans laquelle tu m’annonces avoir reçu ma première lettre. Tu es priée de t’abstenir de faire aucune réflexion sur les mesures prises à notre égard. Je n’aurai plus dorénavant le droit de t’écrire que deux fois par semaine. Tu pourras m’écrire chaque jour ; fais-le, ma chérie, car c’est la seule chose qui me donne le courage de vivre. Si je ne sentais pas ta chaude affection, celle de tous les miens, lutter avec moi pour mon honneur, je n’aurais pas le courage de poursuivre cette tâche presque surhumaine. De même on ne me donne aucune lettre d’aucun membre de la famille, et je n’ai pas le droit de leur écrire.

Le ministre seul peut modifier cet état de choses.

Tu ne peux te figurer, ma pauvre enfant, comme je suis malheureux ; nuit et jour je pense à cet horrible mot accolé à mon nom, mon cerveau parfois se refuse à admettre pareille chose. Je me demande dans mes nuits agitées si je suis réveillé ou si je dors. Avec cela, aucune occupation qui me permette de me distraire de mes sombres pensées.

Je t’embrasse mille fois ainsi que tous les nôtres,

Alfred.
————
28 janvier 1895.
Ma chère Lucie,

Voilà un des jours heureux de ma triste existence, puisque je puis venir passer une demi-heure avec toi, à causer et à t’entretenir. Tu sais que je ne puis t’écrire que deux fois par semaine.