Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/132

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plein de douceur. Il lui était resté, des souvenirs de Constantine, un grand fond de mélancolie et elle parlait rarement… Elle s’occupait du ménage, rendait sans bruit mille petits services dans la maison, et cherchait toutes les occasions de prouver à sa mère adoptive sa reconnaissante affection.

Elle avait d’abord exprimé le désir d’entrer au couvent, car rien ne lui paraissait plus beau que l’Ordre de Saint Vincent de Paul et le titre de Sœur de charité. Mais elle avait bien vite compris qu’il existait pour elle un devoir plus immédiat à remplir auprès de ses bienfaiteurs âgés, privés de leurs enfants : elle sentait surtout qu’elle seule pouvait et devait servir de mère à Pierre. — Le dévouement dont elle se sentait un instinctif et touchant besoin, elle trouvait sans peine à le répandre et à l’exercer autour d’elle aussi bien, faut-il vous avouer, mes enfants, qu’elle avait fort à faire avec le gamin beaucoup plus jeune qu’elle, qu’on ne connaissait plus à la maison que sous le nom de Pierrot.

Le petit Pierre Bertigny n’était pas en effet ce qu’on appelle communément un bon petit garçon, c’est-à-dire une nature douce et un caractère soumis ; c’était plutôt tout le contraire. Une seule chose était certaine et rassurait un peu sa mère adoptive : il avait bon cœur.

À six ans, c’était un taciturne ; mais il ne s’était guère révélé que depuis deux ans : en grandissant il était devenu un enfant terrible, colère, tapant du pied et le plus souvent n’obéissant qu’à demi. Maintenant qu’il en avait neuf, il s’annonçait comme un caractère réellement difficile, servi par une volonté tenace et dominé par l’instinct de rébellion : toute autorité lui pesait ; ce qu’il adorait, c’était faire des niches aux enfants du voisinage et même aux grandes personnes ; il en avait imaginé quelques-unes qui lui avaient valu de sérieuses corrections, celle, entre autres, où, ayant décidé trois gamins comme lui à aller glisser sur un étang gelé des environs, il avait fait, à l’avance et heureusement près du bord, un trou soigneusement dissimulé pour leur faire prendre un bain froid. Ceci même n’était pas une niche, c’était une très mauvaise action.

Il ne rêvait que chevaux de bois, grimpait aux arbres pour dénicher les nids et s’échappait souvent de la maison pour aller voir sur le plateau de Satory manœuvrer les soldats et surtout les cavaliers. Il déclarait déjà qu’il fallait trop travailler pour devenir officier, et qu’il voulait être cuirassier : trompette de cuirassiers. Les trompettes de cette subdivision d’arme lui