Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/29

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— Père ! s’écria le jeune sous-lieutenant, après avoir embrassé le colonel, j’arrive d’un temps de trot !… Je suis furieux ! oh ! furieux !…

— Et pourquoi donc, mon Henri ? interrompit Mme Cardignac, dont la silhouette de femme élégante et simple venait de s’encadrer dans la porte.

— Mais, petite mère, il y a de quoi !… Comprends-tu que mon colonel ne veut pas me proposer pour le 13e chasseurs de l’armée d’Afrique !

Et il ajouta, d’un ton dépité :

— Il dit que je suis trop jeune, que je manque d’expérience, de… Est-ce que je sais, moi !… d’un tas de choses !… Bref, je suis désolé… désespéré !… J’ai eu beau insister… Rien ! Inébranlable !… Mais enfin, mon colonel, ai-je dit, je suis solide, et puis je suis fils de soldat : mon père, que vous connaissez bien, n’a pas été trouvé trop jeune quand il est parti à douze ans pour Valmy, comme tambour à la 9e demi-brigade ![1].

Le colonel Cardignac sourit.

— Ah ! Tu lui as dit cela, à mon ami Nérac ?

— Oui, père… Mais ça ne l’a pas décidé.

— C’est bon, reprit le colonel ; dis à ton soldat de mener les chevaux à l’écurie. Nous allons déjeuner et ensuite j’irai avec toi voir Nérac.

— Oh ! merci, père… merci !

Mme Cardignac eut un sourire triste ; un nuage passa sur son front où ondulaient des cheveux presque blancs.

— Oh ! mon pauvre petit, murmura-t-elle, n’as-tu pas le temps de partir ?

— Ah ! sapristi, s’écria le colonel en riant, ma bonne Lise, tu es toujours la même !… Laisse-le faire ! Je me retrouve en lui… Et toi ! est-ce bien la peine d’avoir fait campagne ensemble à Valmy et à Mayence pour avoir de ces tristesses ?… Allons donc ! embrasse-moi et embrasse-le, ton soldat ! Car c’est un vrai soldat, je t’en réponds, et qui a du sang dans les veines !

On déjeuna, tout en causant de Jean qui, forcé de terminer son stage à L’École d’artillerie, ne pourrait, lui, partir avec son frère le cavalier.

Ensuite le colonel fit seller « Moskowa », sa jument normande ; puis tous deux, le père droit en selle, et à son côté le fils, élégant et souple dans son frac vert foncé, partirent au grand trot pour Saint-Germain.

Après quelque résistance, l’ancien colonel du 1er grenadiers ayant fini

  1. Voir Jean Tapin.