Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 2, 1899.djvu/76

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« — A-t-on exécuté mes ordres en ce qui concerne les captifs ? lui demanda Hussein.

« — Seigneur, l’ordre allait être exécuté, répondit avec aplomb Lakdar ; mais, juste à cet instant, les Français s’emparaient du château : Mokran est tombé mort… une balle… une bombe… je ne sais !

« — Et ensuite ?

« — Alors j’ai dû fuir précipitamment avec les prisonniers, que j’ai gardés à ta disposition dans les souterrains de la Kasbah.

« Le Dey eut un froncement de sourcils suivi d’un silence : mais son visage se rasséréna, car au fond il devait bien sentir qu’il l’échappait belle.

« — C’est bon, dit enfin, le Dey ; prends une escorte, et ramène les prisonniers au quartier général français.

« Lakdar n’insista pas et vint nous retrouver dans notre retraite, en laissant Hussein échanger avec M. de Bracewitz les signatures d’usage.

« Et voilà comment, mes chers parents, nous faisions, une heure après, notre entrée à cheval dans la cour de Sultan Khalassi, au milieu des cris d’enthousiasme de nos camarades. Seul le quartier-maître Muttin était à pied.

« — Jamais je n’ai enfourché ces bêtes-là, avait-il dit. Je ne tiens pas à me faire casser la figure au moment de la délivrance.

« Nous avions, il faut l’avouer, une drôle de tournure avec nos effets souillés, lacérés, nos yeux caves et nos barbes de chemineau ; pour moi, j’étais tête nue et je n’avais pas lâché mon cimeterre, mais personne n’y prenait garde et notre joie était débordante.

« Je vous laisse à penser l’accueil qui nous fut fait par le général en chef et par tous les officiers présents. Tous voulaient nous saisir la main, et j’ai connu ce jour-là une des meilleures émotions de ma vie.

« Le commandant d’Assigny reçut l’ordre d’adresser au général en chef, le lendemain, un rapport complet sur notre captivité, ainsi que sur les événements de mer qui l’avaient précédée.

« Moi, j’ai été de suite réintégré à mon escadron, et, grâce à l’obligeance de mon lieutenant qui m’a prêté une tenue, je suis à peu près présentable.

« Quant à Lakdar, le commandant, voulant lui éviter des représailles de la part du Dey, raconta sa conduite au général : celui-ci, serrant la main de notre ami, le remercia et l’attacha immédiatement au quartier général comme interprète.