Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/236

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le roc, défend l’accès du port militaire, et, par la passe de l’avant-port, vint se ranger à quai au milieu de l’arsenal.

Il semblait aux deux amis qu’ils entraient dans un monde à part. De tous côtés s’élevait un bruit assourdissant. Sous les hangars, où de nombreuses machines-outils fonctionnaient sans arrêt, les lourds marteaux s’abattaient en résonnant sur l’acier des blindages ; des chaloupes à vapeur traversaient les bassins en sifflant ; des locomotives et des wagons couraient le long des quais, portant la houille et le fer jusqu’aux ateliers ; des chalands, remplis de matériel, étaient déchargés à l’aide de puissantes grues placées de distance en distance ; des canons s’allongeaient à terre, alignés comme à la parade, et des piles d’obus s’amoncelaient près d’eux en pyramides régulières. Dans un hangar, d’énormes approvisionnements de cordages, d’ancres et de chaînes donnaient l’impression que les flottes les plus puissantes pouvaient venir là, se ravitailler de tout.

Dans les darses étaient amarrés, tout près les uns des autres, les bâtiments des genres les plus divers : cuirassés, transports, garde-côtes, avisos, torpilleurs ; plus loin, un navire à demi gréé, ses mâts à demi-guindés, était couvert d’échafaudages, sur lesquels s’agitait une nuée d’ouvriers, tôliers, charpentiers et calfats, et tout autour de ces navires s’entre-croisaient, dans un pêle-mêle pittoresque, canots, remorqueurs, chaloupes, baleinières et chalands, tous allant et venant dans un sens et dans l’autre. C’était auprès de ces géants de la mer, enchaînés le long des quais et immobilisés pour l’instant, une intensité de vie extraordinaire.

Un second-maître avait été donné aux deux officiers pour les guider et leur fournir les explications nécessaires. Successivement il les introduisit dans l’atelier des canots et de la mâture, dans les forges de radoub et dans les cales couvertes où sont mis en construction les plus grands bâtiments.

Mais ce fut surtout à la Direction d’Artillerie, et lorsqu’ils pénétrèrent dans la salle d’armes, que les deux jeunes gens manifestèrent leur admiration : cinquante mille armes de tous les modèles et de toutes les époques, disposées avec un goût parfait, s’alignaient sur des râteliers ou formaient des trophées artistiques. Les uns représentaient un arbre, une corbeille, un lustre, un jet d’eau ; les autres, appliqués contre la muraille, y formaient des dessins représentant des écussons, des croix, des étoiles, des lunes, des soleils et des colonnes.