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Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/347

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entrepôt, les avait obligés à quitter l’Afrique plus tôt qu’ils ne l’eussent voulu.

« N’étant pas repassé par Kita, je n’avais pu avoir sur eux de renseignements précis ; je savais seulement, par une lettre de M. Ramblot, arrivée à la colonne Galliéni en octobre, que sa fille Lucie était complètement rétablie ; je savais aussi, par une autre lettre de M. d’Anthonay, qu’elle avait conservé la plus vive reconnaissance à celui qu’elle regardait comme le sauveur de son père, en quoi elle m’attribuait un mérite exagéré. Puis j’étais resté sans nouvelles pendant trois mois ; je n’en avais pas été autrement étonné d’ailleurs, car nous naviguions dans des contrées où les courriers nous atteignaient rarement ; mais, il y a quinze jours, j’ai reçu une lettre de Flandin, le lieutenant de la compagnie ; cette lettre avait deux mois de date. Flandin, malade et épuisé, nous avait quittés pour remonter à Kita avec les malingres et les blessés, pendant que nous forcions de marche sur Bammakou : il avait donc vu les Ramblot réunis et m’en donnait des nouvelles.

« Ils avaient été contraints, ainsi que M. d’Anthonay, à prolonger leur séjour à Rita, parce que ce fort était coupé du haut Sénégal par les partisans d’Ahmadou ; de plus, cette lettre m’apprenait que la fille aînée de M. Ramblot était arrivée à Kita, avant l’interruption des communications, avec un médecin civil de Saint-Louis, pour soigner sa sœur Lucie, et que l’on parlait couramment du mariage de la fille de M. Ramblot avec ce médecin, largement défrayé de son voyage par M. d’Anthonay. Évidemment cet homme n’a pu voir cette adorable jeune fille, la soigner, passer des heures auprès d’elle, sans éprouver les mêmes émotions que moi… Flandin, dans sa lettre, me présente la chose sous une autre forme et écrit brutalement, en parlant de ce docteur : « Le gaillard va épouser un fameux sac d’écus. »

« Cette seule phrase, vois-tu, mère, atténue bien fort la douleur cuisante que m’a causée cette nouvelle.

« Pour rien au monde, je n’aurais voulu qu’elle s’appliquât à moi.

« J’aurais tout tenté pour retrouver Lucie Ramblot pauvre ; cette fortune inattendue qui lui arrive, en m’empêchant de confier mes espérances à M. d’Anthonay, a éloigné cette jeune fille de moi plus sûrement que le temps et les distances.

« Aujourd’hui, elle va épouser celui qui l’a guérie ; rien de plus juste, et comme je ne lui ai jamais rien avoué, que je n’ai rien dit à son père, enfin