Page:Driant, Histoire d’une famille de soldats 3, 1904.djvu/414

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s’était mis dans la tête qu’il s’agissait de Lucie, la malade, sauvée par ce médecin… Épouser son sauveur, c’était si naturel !

Mais comment cette méprise avait-elle pu durer aussi longtemps ?

D’abord, à cause de la perte de la lettre de M. Ramblot, qui annonçait ce mariage, et qui eût détrompé immédiatement le jeune homme ; ensuite, parce que, dans les lettres suivantes, dont la rareté s’expliquait par la rareté même des lettres de Georges, M. Ramblot transmettait toujours ensemble les souvenirs et sympathies de ses deux filles. Le digne homme en effet ignorait absolument les sentiments de Georges, et Lucie, les ignorant comme lui, avait gardé son secret jusqu’au jour où, devant Paul, parlant d’aller au Tonkin, elle s’était trahie.

— Alors, reprit Paul, lorsqu’il eut fait comprendre sans ambages à son ami qu’un petit cœur battait pour lui en France, tu saisis maintenant que je n’ai pas hésité à m’embarquer, promettant à tout le monde de te ramener. Il faut te dire aussi que, depuis ton départ, j’ai été sacré peintre par une troisième médaille au Salon.

Georges, tout à ses pensées, n’avait apporté aucune attention à la nouvelle que lui donnait son ami ; il fallut que Paul réitérât.

— Une troisième médaille, entends-tu, toi qui me traitait jadis de barbouilleur d’enseignes !

— Peste ! fit Georges, une médaille ! mes compliments ; pourquoi ne m’as-tu pas écrit ça ! Moi qui croyais que tu étais adonné pour toujours à la caricature et aux journaux illustrés.

— C’est que tu ne connais pas ma belle passion pour l’Orient, pour ses beaux ciels, ses minarets, ses oasis, ses blancs éclatants, ses horizons violets, ses couchers de soleil incomparables. Je suis devenu un orientaliste de la dernière école, et, pour enfoncer les confrères, qui font tout au plus un voyage en Grèce ou en Égypte, de loin en loin, je me suis dit : « Le Tonkin, c’est l’Extrême-Orient. Je vais donc être un extrême-orientaliste, rapporter des croquis de jaunes… Jaune sur bleu, mon cher, voilà la mode aujourd’hui. »

Georges sourit de la faconde de son ami : Paul n’avait pas changé ; sa verve ancienne s’était tournée vers la peinture, mais c’était toujours bien le cœur chaud, prompt à l’enthousiasme, d’autrefois.

Cependant, comme le jeune officier venait de lui demander des nouvelles