Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/127

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Les marabouts ont restauré la foi dans les tribus du littoral qui portaient encore la croix et dont les femmes invoquaient encore la Vierge Marie[1]. Les Beni-Guill, ces hardis cavaliers dont les chevaux sont les plus beaux de tout le Magreb, fourbissent leurs armes.

— Toutes ces nouvelles réjouissent mon cœur, dit le sultan ; continue, noble chérif.

— Les gens de Fez, poursuivit Hadj-Ibrahim, portent aux mosquées de Moulaï-Dris et de Karaouin, les plus saintes de l’Afrique du Nord, leurs plus ardentes prières pour le succès de tes desseins. Ceux de Mequinez n’ont pas oublié que leurs murailles ont été baties par des esclaves chrétiens et que les cadavres de ces maudits ont été broyés et mélangés au mortier qui en couronne le faite[2] : ils ont gardé au cœur la haine de l’infidèle et sauront bientôt te la prouver.

À Rbat, la clef sainte de Cordoue[3], rapportée par nos frères chassés d’Espagne, est redevenue un objet d’adoration et une confrérie s’est formée qui a juré de la reporter en Andalousie.

Tous enfin, jusqu’aux Gemt-el-Melah, ces anciens esclaves noirs que l’on achetait avec un peu de sel, te regardent comme l’envoyé de Dieu. Seul, l’empereur du Maroc est resté sourd à nos objurgations.

— L’insensé ! dit le sultan.

— Comment ne se trouverait-il pas heureux de sa situation présente ? fit Omar : l’Angleterre, la France, l’Espagne et jusqu’à l’Allemagne, convoitent ce dernier morceau de la puissance arabe resté debout au nord de notre continent, et l’antagonisme de ces puissances est le meilleur garant de sa tranquillité dans le pouvoir. Or, son pouvoir à lui c’est la possession[4] ; tous les impôts sont à lui ; il n’en

  1. De Foucault. Au Maroc.
  2. Colville.
  3. Élysée Reclus.
  4. Trois mots caractérisent les différences qui existent entre les peuples arabes de la Méditerranée dans la manière d’apprécier les qualités qui les séduisent le plus. En Tunisie c’est arfi : le savoir, la science ; En Algérie c’est sidi : le pouvoir, la puissance, la force ; Au Maroc c’est moulai : la propriété, la richesse.