Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/189

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pas craint de confier à la poste saharienne des lettres aussi longues que nombreuses.

Mais le désespoir de la jeune fille disait tout cela.

Et le pauvre père n’avait plus le courage de répéter que c’était malgré lui et à son insu que s’était ébauché ce roman d’amour.

Tout entier aux sciences, il n’avait pas rêvé pour gendre, il est vrai, un officier de troupe, un de ces nomades qui parcourent la France et ses colonies le pied léger, le cœur joyeux, pendant que derrière eux les hommes fredonnent des chansons de route.

Il avait rêvé un savant comme lui, un homme de position stable plongé dans les chiffres, capable de se signaler au monde par une grande découverte.

Si du moins, puisque l’uniforme l’avait séduite, elle avait fait son choix parmi les officiers des armes savantes, il n’y eût eu que demi mal.

Il lui eût été, jusqu’à un certain point, agréable d’avoir pour gendre un capitaine du génie à la tête remplie de chiffres, de cotes et de lignes, ou un de ces brillants officiers d’artillerie qui savent imposer à l’obus sa vitesse et fixer sa parabole en même temps qu’ils lui assignent un point de chute.

On bien encore, si elle eût pu faire son idéal d’un fonctionnaire de l’intendance !

Mais elle avait été s’enticher d’un officier de tirailleurs, c’est-à-dire d’un homme dont la maison voyageuse est plus souvent en toile qu’en briques.

Enfin, il n’y avait plus à récriminer ; le mal était fait et la douleur de sa fille avait été si intense en apprenant les affreuses nouvelles venues du Sud, qu’il avait dû tout d’abord se préoccuper de l’atténuer le plus possible.

Et c’est pourquoi il était venu si matinal importuner son vieil ami.

— Malgré tout, dit-il, elle se persuade qu’il n’est pas perdu ; elle l’a paré de toutes les qualités physiques et morales, courage, audace, vigueur, etc., et me répète sans cesse qu’il a dû s’en tirer, qu’il doit, à cette heure, errer dans quelque région voisine de nos derniers postes et qu’un beau jour on apprendra son retour dans nos lignes ; puis