Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/20

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« Pour se préparer à la guerre, ils se vautrent dans le luxe et les plaisirs coupables.

« Cet arbre n’attend plus que la hache.

« La hache, c’est à moi que Dieu l’a confiée.

« Quand l’heure aura sonné, je vous jetterai sur le sol des infidèles comme le semeur jette une poignée de grains dans un champ et « sous vos pas tout deviendra ruine »[1], suivant la parole du Prophète.

« Serez-vous bientôt prêts ?

« Parle, toi, Mao, enfant du Soudan impénétrable ! »

Un Arabe se leva ; il portait le costume des gens du Bornou, et se cachait le bas du visage avec un coin de son haïk.

Il était célèbre dans tout le nord de l’Afrique par le harem de quatre cents femmes qu’il entretenait à Kouka, sa capitale : car ce harem comprenait un ou plusieurs spécimens de chacune des races humaines, et il avait rassemblé ce grand nombre de femmes, disait-il, comme un antiquaire collectionne des camées et des médailles[2].

« — Maître de nos vies, dit-il après s’être incliné profondément ; toi qui représentes parmi nous l’antique et noble race des Abassides, qu’Allah te comble de ses bénédictions ! j’ai quitté les bords du Tzadé[3] il y a deux lunes pour répondre à ton appel. La bonne parole a partout circulé, depuis les montagnes du Tarso, qui bordent le désert de Libye, jusqu’aux dernières collines du Baghirmi. Des marabouts parcourent maintenant le Kanem, l’Aîr et le Kashen ; quand tes messagers arriveront, j’aurai réuni tous mes peuples. Nous n’attendons que les armes que tu nous as promises en échange de nos fusils trop vieux. »

— Tu les auras bientôt, Mao ; et toi, fils de Samory ?

Karamoko se leva.

Ce n’était plus le jeune prince noir curieux et expansif qui avait visité l’Exposition française en 1889 ; ce n’était pas non plus le grotesque personnage rencontré par Binger en 1888 sur les bords du Niger, coiffé d’un Casque de pompier et revêtu d’une cuirasse ancien modèle.

  1. Coran (Sourate 17).
  2. Voyages du docteur Barth.
  3. Le lac Tchad.