Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/21

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Le malheur l’avait rendu grave et il avait grisonné sous les fatigues de la défaite et de la fuite incessante.

Après les luttes sanglantes soutenues contre les colonnes françaises et la mort de son père décapité par ses propres Sofas, il s’était réfugié dans les solitudes habitées par les Maures nomades au sud du Maroc ; depuis trois ans seulement il avait reparu dans les anciens Etats de ses pères, évitant les garnisons françaises et prêchant la révolte.

« — Dans tout le pays du Niger, dit-il sourdement, depuis ses sources jusqu’à Ségou, dans le Fouta-Djallon, comme dans l’ancien royaume d’El-Hadj-Omar, on attend l’heure. Les postes français couvrent maintenant tout le cours du Djoliba[1] et Taim bouctou la grande capitale est tombée entre leurs mains ; mais du Mossi au Fouta, la haine pour l’envahisseur est restée vivace comme la racine de la liane caoutchouc. Les jours du successeur de Tieba, ce traître que Dieu maudisse, sont comptés, et quand tu donneras le signal, Peuls, Toucouleurs, Talibés, tous me suivront. »

Le sultan avait écouté avec attention ; un éclair de satis faction brilla dans son regard.

— A ton tour de parler, Nzigué, dit-il, toi dont le rôle a été si grand dans ces dix dernières années ; toi à qui est dû le réveil de ces populations du Congo si pusillanimes, si lâches devant les blancs ; toi qui en infusant à tous ces païens la doctrine sainte de Mohammed en as fait des hommes, des guerriers pour qui la mort ne compte plus. As-tu envoyé le mot d’ordre des bords du Grand Fleuve aux confins de la Grande Forêt ?

Nzigué était debout, appuyé sur un magnifique fusil euro péen, un Mannlicher autrichien à répétition, qu’il avait

  1. Nom donné au Niger par les indigènes.