Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/215

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par les Anglais et les Français : déjà ils planaient de nouveau au-dessus de la mer.

— Il est midi et nous avons fait la moitié du trajet, dit le jeune homme.

— Nous serons à Alger à quatre heures, je ne pouvais espérer mieux, répondit l’ingénieur.

— Et Monsieur sera rapatrié, dit Guy, en désignant l’interprète qui, assis sur un pliant, le dos au bardage et les yeux dans le vague, était aussi silencieux qu’au départ.

Quel ours mal léché, poursuivit-il à mi-voix, et quelle idée avez-vous eue, mon oncle, de nous adjoindre un pareil compagnon ?

— Je ne l’ai pas choisi : on me l’avait au contraire représenté comme un brillant causeur, comme un voyageur dont les connaissances, sur les hommes et les choses, étaient très étendues.

— Comme causeur, il est réussi, dit le jeune homme en riant ; je serais assez disposé a croire qu’il appartient à la troisième classe des interprètes.

— De quelle classe veux-tu parler ? Je les croyais divisés en interprètes principaux, titulaires et auxiliaires.

— Cela, c’est la division connue du vulgaire ; mais un de mes amis, chef de bureau, rue Royale, s’amusait à les classer en trois autres classes : dans la première, il rangeait ceux qui savaient le français et ne parlaient pas l’arabe ; dans la deuxième, ceux qui connaissaient l’arabe en écorchant le français, et dans la troisième, ceux qui ne savaient ni le français ni l’arabe.

Et comme l’ingénieur riait de bon cœur :

— Vous avez une lettre pour le général gouverneur ? demanda le jeune homme.

— Oui, j’ai un pli du ministre de la Guerre et un du ministre de l’Intérieur, indépendamment des lettres privées qu’on n’a pas manqué de m’apporter de partout ; de plus, il a dû recevoir une notification officielle de notre arrivée.

— Alors, demandez-lui un interprète ; quel qu’il soit, nous ne perdrons pas au change.

Si, à ce moment, le jeune homme se fût retourné, il eût surpris le tressaillement qui agite Saladin.