Page:Driant - L’invasion noire 1-Mobilisation africaine,1913.djvu/227

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— Avez-vous remarqué, fit l’ingénieur, combien les indigènes sont rares dans cette multitude ? on ne se croirait pas plus en Afrique ici que sur les côtes de Provence.

— C’est vrai, dit l’interprète, les burnous me manquent.

— En revanche, reprit M. Durville, la population européenne m’a paru énorme, et je n’ai jamais vu le port aussi encombré de bâtiments.

Il devait en connaître bientôt la cause chez le général gouverneur où un officier d’ordonnance le conduisit quelques instants après sa descente.

La panique était à Alger.

Des postes du sud, elle avait atteint la région des Hauts Plateaux ; les colons s’étaient enfuis de Géryville, de Djelfa ; de Laghouat et de Biskra, abandonnant aux Arabes menaçants les oasis et les champs d’alfa, sentant venir du sud les hordes nombreuses qui, depuis trois mois, se concentraient au Touat.

Puis la terreur avait gagné de proche en proche ; elle avait atteint Mascara, Tiaret, Boghar et Batna, et, comme une houle grandissante, était venue battre les murs d’Alger, dont la population flottante avait doublé depuis un mois.

Seules, les garnisons françaises occupaient les points stratégiques principaux avec ordre de les défendre jusqu’à la dernière extrémité, après avoir rallié tous leurs postes détachés,

Le général, qui réunissait les attributions de commandant du 19° corps à celles de gouverneur général, n’était pas homme à se laisser intimider ; mais il avait dû prévoir l’évacuation du trop-plein de la population flottante d’Alger, et c’est pourquoi le port était rempli de vaisseaux en partance pour l’Espagne, la France et l’Italie..

C’était le général de Solis, un des fils du héros qui avait tenu ferme le drapeau français en 1870, dans la guerre en province. D’un tempérament calme et froid, au milieu de l’affolement général, il reçut l’ingénieur avec cordialité, le félicitant du succès de son voyage, et prit connaissance de la lettre chaleureuse que lui envoyait l’ingénieur du Transsaharien.

Il connaissait ce dernier depuis plusieurs années et avait favorisé son œuvre de tout son pouvoir.