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Si le général Quarteron n’avait pas quitté cette place, il était déjà au nombre des morts.

S’il s’était rejeté au centre, il allait y être entouré par les Touaregs, dont la ligne pressée refluait maintenant vers les bataillons encore debout.

Le seul parti qu’il eût pu prendre eût été de se réfugier dans l’un de ces bataillons ; mais, d’un côté comme de l’autre, il était inutile de le chercher.

— Quel épouvantable désastre, dit encore l’ingénieur.

— Epouvantable ! répéta Guy.

Et ils ne trouvèrent plus rien à dire ni à faire.

Hypnotisés par la vue du massacre, ils ne songeaient pas à quitter ce lieu maudit, comme s’ils eussent attendu le miracle qui, seul, pouvait encore sauver les débris de cette vaillante armée.

Le carnage continuait ; une effroyable clameur couvrait maintenant le champ de bataille tout entier.

L’armée noire n’avait plus aucune forme : c’était la fourmilière victorieuse, qui envahit et recouvre le cadavre tombé.

Chacune des fractions françaises, encore debout, ressemblait à un morceau d’aimant roulé dans de la limaille de fer.

Pour les aéronautes, la bataille s’était transformée en une série de combats singuliers dont chacun allait s’affaiblissant.

Quand les premières flèches roses de l’aurore tombèrent sur cette plaine où, la veille encore, 25.000 Français jetaient aux échos du Sahara leurs joyeux défis, un dernier carré, un bataillon de zouaves, résistait encore.

Il avait pu se reformer avant l’invasion des Touaregs et, isolé maintenant dans ce champ des morts, n’attendant plus aucun secours, il s’apprêtait à mourir.

Au centre du carré, un petit groupe se tenait immobile comme les statues de bronze qui entourent le bas-relief de Rezonville.