Aller au contenu

Page:Driant - L’invasion noire 3-fin de l’islam devant Paris,1913.djvu/78

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La seule défroque qui lui allât dans la garde-robe variée apportée par Zahner, était une livrée de groom en drap vert clair et lisérés jaunes ; trois rangées de gros boutons à grelots lui faisaient une poitrine etincelante, et une casquette à large galon d’argent complétait le costume.

Il fallut que Zahner l’exigeât pour que le tirailleur consentit à revêtir cet étrange uniforme.

— A aucun prix, dit l’officier, il ne faut qu’on distingue parmi nous des vêtements arabes.

— Mais j’aimerais mieux aller tout nu ! clama Hilarion.

— C’est pour le coup qu’on te prendrait pour un cholérique ; habille-toi vite et ne fais pas le dégoûté : à la guerre comme à la guerre !

Pour Mata, on trouva un costume complet de cocher, et Yamin revêtit une longue lévite noire qui avait dû appartenir à un pasteur de la colonie anglaise.

De Melval et Zahner abandonnèrent à leur tour les vêtements arabes auxquels ils étaient maintenant habitués complètement, et quand la transformation totale fut opérée, on eût pris les fuyards pour une famille anglaise émigrant devant l’invasion.

Cependant aucun vaisseau ne se montrait à l’horizon ; cette absence complète de bâtiments de guerre dans la mer de Marmara, où ils pullulaient quelques semaines auparavant, s’expliquait par la rapidité foudroyante avec laquelle un certain nombre de vaisseaux avaient été contaminés sans contact apparent avec les pestiférés envoyés par le Sultan : il semblait que la mer, où tant de cadavres avaient été jetés déjà, véhiculât les principes microbiens des terribles maladies, et les flottes alliées s’étaient hâtées, du moins en partie, de repasser les Dardanelles ou de remonter dans le nord de la mer Noire.

La nuit tomba ; le caïque avait dérivé dans l’Ouest avec une vitesse constante de 8 kilomètres à l’heure ; il avait donc fait environ 140 kilomètres et approchait de la grande ile de Marmara ; mais Zahner, à qui incombait le soin de veiller à la manœuvre, décida qu’on l’éviterait pour se rejeter plus au Nord vers la côte d’Europe, et il se remit à la godille avec une nouvelle ardeur, après avoir fait, ainsi que les autres passagers, honneur aux vivres dont sa prévoyance les avait munis.